Femme à la barre

Publié le par YCPF

A l’YCPF, la deuxième régate de la saison avait pour intitulé « Femmes à la barre ». Plus qu’une profession de foi féministe, il faut plutôt y voir une illustration bienvenue du sport de la voile: c’est l’une des très rares disciplines où la mixité est une réalité. Et ça ne date pas d’hier. Florence Arthaud ne remportait-elle pas la mythique Route du rhum au siècle dernier ? C’était il y a exactement … 32 ans.

A défaut de prendre la mer, la route, voire un petit rhum, elles étaient onze skippers (comment faut-il féminiser le mot ? « Skipperes » : horrible, « skippeuses » : affreux !), disons qu’elles étaient onze capitaines à être inscrites pour cette course en Seine. Un petit exploit au plan régional mais avec un bon tiers d’adhérentes, l’YCPF est désormais capable, là aussi, de battre un record de participation. Si les femmes barraient, chaque équipage était mixte, aucun bateau n’étant mené par une équipe exclusivement féminine. Une donnée qui pourrait bien changer dès l’an prochain.

Ces capitaines étaient engagées sur des bateaux représentatifs de la flotte du Yachting Club du Pays de Fontainebleau. En dériveur, Gwenola Pinvidic armait pour la première fois son 470, alors qu’Alexandra Lanciaux prenait la barre du 4.45 du club et que Danièle Volpelière pilotait le 420 de Jean Novelli. Les deux habitables étaient menés par Florence Barthélemy (Jouët 18) et Danièle Lefevre (Corsaire). En quillard de sport, Isabelle Piot, Dalila Aït Amir, Annabelle Nénot et Samy Baume couraient en F15, Fabienne Launay barrant un autre quillard (Starling), plus puissant que les Flying Fifteen. Onzième capitaine et l’une des favorites de la course, Sophie Marlot, souffrante, déclarait forfait au dernier moment.

 

Les Français, les régatières et la météo

Selon une étude réalisée dans tous les pays de l’Union européenne, les Français sont de très loin les plus attentifs à la météo, à ses bulletins TV ou radio ainsi qu’à ses données sur internet. Mais selon tous les correspondants de presse étrangers vivant chez nous, la population la plus stupéfaite, la plus consternée quand les conditions réelles ne correspondent aux prévisions annoncées est indiscutablement le peuple français. Il en va sans doute de même chez les marins tricolores et probablement chez les régatières de l’YCPF.

D’ailleurs, au port de Valvins, chacun connait l’antienne martelée depuis toujours par Bernard Brianchon : « Qui trop regarde la météo… finit au bistro ». Et bien lors de cette Femmes à la barre, le même directeur technique l’a encore beaucoup répétée, cette fois dans une acception que l’on ne connaissait pas : non pas en raison d’une tempête annoncée mais à cause du tout petit temps attendu, lequel rendrait vaine n’importe quelle procédure de départ, dixit les piliers de comptoir.

Et c’est vrai qu’à l’heure où les avions F16 faisaient couler tant d’encre sur le thème « Arriveront ils… ou pas ? », il était utile de savoir si nos bateaux F15 allaient devoir jeter l’ancre, alimentant ainsi les mêmes interrogations : « Arriveront ils… ou pas »?

Car après avoir briefé les équipages sur le thème « le calme de la matinée n’arrête pas le marin », version navalisée du religieux « la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin », le patron de la course Bernard Brianchon donna un premier départ, ligne dans l’axe du pare-embâcle, cap sur la plage de Samoreau où était mouillée la première bouée à virer (la suite du parcours consistant en une descente en direction du pont de Valvins où une seconde bouée marquait la remontée vers l’arrivée).

 

Et le zéphyr rendit l’âme

Las, le tout petit zéphyr qui murmurait lors de la mise à l’eau des voiliers s’évanouit dans les 5 minutes précédant le départ. Le courant, en revanche, était lui en pleine forme. Avant même le top départ, il faisait déjà naître dans l’esprit des coureurs cette impression délétère d’emprunter un tapis roulant dont on aurait cassé les commandes et qui ne fonctionnerait plus qu’en marche arrière. Désolant quand chaque équipage ne pense qu’à aller de l’avant.

Dans ces conditions (d’absence) de vent, la conversation à bord pouvait se résumer ainsi, tiré d’un dialogue entendu dans le cockpit du K, l’un des F15 engagé :

- La capitaine : tu es sûr qu’on avance là ?

- L’équipier : oui, regarde ; tu superposes cet arbre au premier plan avec la maison juste derrière. Tout à l’heure nous étions à la hauteur de la fenêtre, maintenant on est à la porte.

- il y a 3 mètres d’écart entre la fenêtre et la porte ; en 2 minutes, c’est peu.

-…

- Là je crois qu’on recule. Nous étions au niveau du ponton 1, nous sommes maintenant à hauteur du ponton 2.

- P… de courant.

- Qu’est-ce qu’on fait ?

- On se positionne le long du rivage, pour éviter d’être au centre du fleuve où le courant est maximal.

- D’accord mais comment je fais pour y aller, au bord, il n’y a vraiment pas de vent…

-…

- Je crois qu’on arrive au ponton 3, là…

- PU-T…-DE-COU-RANT !

- Tu ne crois pas qu’il faudrait prendre les pagaies ?

- Alors ça jamais.

- Il y en a qui le font, regarde…

- J’y crois pas ; on est en régate, c’est interdit.

- Tiens, la sécurité remorque un bateau qui dérivait presque sous le pont de Valvins

- Ben elle, elle est Do Not Finish. Nous il faut qu’on trouve la risée qui va nous sortir de là.

- Ce serait bien parce qu’on vient de dépasser le ponton 4 et on…

- …mais c’est pas croyable ! Ils vont l’annuler cette manche ou quoi ? Et les pagaies, où elles sont ?

 

 

Un club et une démocratie participative 

On lança un second départ (enfin lancer, c’est beaucoup dire) et les conditions restèrent les mêmes : obstinément chaudes et sans vent. Un club de sport étant (parfois) une espèce de démocratie participative, le comité de course demanda alors par radio à ses aides sur l’eau de réaliser un petit sondage auprès des capitaines. Voulaient elles continuer ou préféraient-elles arrêter… les frais ? Les sondées préférèrent renoncer, au moins provisoirement.

Le comité changea donc son fusil d’épaule et décida cette fois de partir à gauche. Les voiliers furent remorqués, manœuvres qui se révélèrent parfois scabreuses. L’idée était de donner le départ en amont de Samoreau, pour arriver devant le club house. Et d’offrir, en quelque sorte, une « course de courant », comme on dit une « course de côte ». Le résultat fut peu probant.

 

Et le vent vint

Et puis et puis, le vent commença à rentrer. Certes pas puissamment, mais suffisamment pour avoir de vraies régates. Des courses aux conditions aléatoires, avec des sautes de vent, des risées venues on ne sait d’où, provoquant des « passages à niveau » où certains passent et s’échappent quand d’autres restent bloqués derrière une barrière invisible (le trou d’air). Des régates incertaines donc, avec des leaders sûrs de rien et des derniers qui, comme au paradis, peuvent toujours caresser l’espoir d’arriver premiers, à la faveur d’un énième renversement de situation. Bref des régates usantes pour les nerfs. Une « loterie », ajouteront les plus sceptiques ; des courses qui demandent de la « réussite », nuanceront les plus positifs.

Pour trancher entre ces deux approches (scepticisme contre positivisme), rien ne vaut d’examiner une saison dans son entièreté, soit environ trente-cinq manches disputées dans toutes les conditions. On constate que, petit ou gros temps, ce sont toujours les mêmes équipages qui dominent. Autant dire que ces résultats n’ont rien d’une loterie et que la chance n’y est pas pour grand chose.

 

La météo comme l’arbitre au foot

En fait, la météo est un peu comme l’arbitre au football. Certaines équipes, comptabilisant les erreurs dont elles sont victimes, pensent être systématiquement désavantagées par l’arbitrage. Or elles oublient souvent les fautes commises par « l’homme en noir » en leur… faveur. Si bien qu’à la fin de la saison, « contre » et « pour » s’équilibrent. La météo, c’est un peu ça. Un équipage peut réellement « jouer » de malchance un jour et considérer son résultat injuste. Mais qu’il se rassure : dans l’avenir, il bénéficiera nécessairement d’un petit coup de pouce du destin.  

Dans ces régates courues l’après-midi, les capitaines purent même envoyer leurs spis (ces grandes voiles ballons multicolores), preuve que le vent revenu était relativement stable. Il y eu encore des voiliers paralysés à la bouée alors que d’autres, rive opposée, remontaient toute la flotte et viraient en tête, il y eu des trous de vent, des passages à vide, des pertes de patience, des coups de gueules contenus. Et aussi du plaisir, beaucoup de plaisir.

A ce jeu subtil, Florence Barthélemy sur son habitable Rêve Claire (Jouêt 18), s’imposait au classement général final, suivie par Gwenola Pinvidic sur son 470 (1ere au classement dériveur) et Samy Baume à bord de son Flying Fifteen (1ere en quillard et 1ere primo).

 

Le vent, ce carburant propre des voiliers

La remise des prix était présidée par Béatrice Rucheton, autre femme à la barre, puisqu’elle est vice-présidente du département de Seine-et-Marne, en charge des questions environnementales. Lors des quelques mots prononcés avant de remettre la coupe du « 77 », elle rappela combien la voile est une discipline vertueuse, l’exploitation de l’énergie propre et renouvelable qu’est le vent étant le principe même de ce sport.

Pour conclure cette journée, un barbecue géant régalait les équipages. Il était servi sur la terrasse du club house, c’est-à-dire sur le quai du port. On y parlait toujours bateaux et navigation, alors que la nuit était tombée depuis longtemps.

                                                                       

Bruno Clement-Bayer

photos Jean Raveau

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