« Primovera » - régate de printemps

Publié le par YCPF

Apocalypse Now ?

 

Quelles que soient les saisons, certains marins d’eau salée expliquent doctement que sur la Seine « il n’y a jamais de vent ». Ah bon ? Depuis un an et à quelques exception près, le livre de bord de l’YCPF témoigne du contraire. Nouvelle preuve avec la Primovera, disputée sur le plan d’eau de Valvins le 26 mars  et annoncée tempétueuse.

 

 

Le principe de cette épreuve de printemps est simple : chaque équipage doit comporter au moins un nouvel adhérent, que la Fédération française de voile appelle un « primo ». A la fois cérémonie de bienvenue et rite d’initiation, cette première régate  de la saison est donc une façon d’intégrer les nouveaux membres à la vie du club et de les familiariser, déjà, à la navigation, quasi hivernale cette année même si, en ce 26 mars, on passait à l’heure d’été.

D’ailleurs, dans la semaine qui avait précédé, les spéculations sur le maintien de la course animaient les réseaux sociaux du club. Partira ou partira pas ? II est vrai que Météo France annonçait pour le dernier week end de mars un vent de 35km/h, agrémenté de rafales à 65 km/h. Soit, pour donner une idée plus marine, un bon 18 nœuds (force 5 sur l’échelle de Beaufort), avec des claques à 35 nœuds (force 8). Pas de quoi faire les malins pour les marins de l’YCPF.

Néanmoins, en vertu d’une phrase célèbre, citée à l’envi par le président du comité de course Bernard Brianchon et reprise par ses adeptes (« Qui trop regarde la météo… finit au bistro »), on décida d’attendre et de voir jusqu’au dernier moment, soit au matin du dimanche, si l’on donnerait le départ. Concrètement, la consigne était « on se prépare comme si l’on  partait ».

On ne le jurerait pas mais pendant cette phase de « wait and see » quelques uns, sans aller jusqu’à invoquer une autre phrase célèbre, issue cette fois du milieu montagnard (« Qui trop ignore la météo… termine à l’hosto »), quelques uns donc, écoutant le vent tourmenter les arbres et maltraiter les gréements, paraissaient afficher une mine plutôt inquiète avec l’air de dire : « On peut toujours argumenter, mais le bistro…, c’est tout de même sympa, non ? ». 

 

Les eaux bellifontaines ? Une aubaine

Qu’on se rassure, la voile est un sport sans danger. Et quand il y a du vent, sur les plans d’eau intérieurs, c’est un sport particulièrement enthousiasmant, peut-être même plus qu’en… mer. A force 5, l’échelle de Beaufort indique une hauteur de vagues correspondante de plus de 2m. De quoi commencer à faire souffrir le matériel, sans parler des estomacs. Or la « mer du vent » (autrement dit les vagues qui résultent de la force et de la direction du vent) est une notion inadaptée aux fleuves et aux rivières. Faute de place, d’espace, de temps, de longueur, de large, la « mer » y est toujours plate ou presque, quelle que soit la brise.

Et puis la voile étant un sport de glisse, du vent et une mer plate sont les caractéristiques indispensables pour filer idéalement. Certes dès 10 km/h de vent, la navigation devient sportive en dériveur. Cependant  l’YCPF est aussi un club de quillards et d’habitables, des voiliers qui, en principe, ne bronchent pas dans une quinzaine de nœuds et par mer plate. Bref, pour les régatiers de l’YCPF, il n’y avait finalement pas de raison d’envisager de commencer la journée du dimanche au bar, même à l’approche d’un coup de tabac.
 

En bateau, le rappel est sanglant

Appliquant les consignes des dirigeants du club, le samedi est consacré à l’armement des voiliers avec, sans doute, une concentration supérieure à l’habitude. Le parc est en effervescence et sur chaque voilier, on assèche, on dérouille, on graisse, on astique, on regonfle, on éclaircie, on teste. On contrôle tout particulièrement les sangles de rappel. Car si le vent est conforme aux prévisions, les équipiers devront « monter » au rappel (« sortir » du cockpit) pour contrebalancer la gite excessive du bateau.  Et pour cela ils utiliseront des sangles qui fonctionnent comme des cale-pieds…

Au soir du samedi, la plupart des voiliers ont été grutés et sont amarrés dans le port. Le vent souffle toujours, on verra bien demain. Pour l’heure, place au  dîner des équipages, organisé dans le club house transformé en albergue español.

 

Bref briefing un brin bravache

Dimanche, 9h du matin. Assisté de Sophie Marlot, Bernard Brianchon réunit les coureurs pour un bref briefing dans la brise. « Ça souffle mais c’est jouable, donc on part. Le vent est orienté Sud-Sud-Ouest, en conséquence la bouée au vent est mouillée coté rive gauche, en amont de la plage de Samoreau ». (La bouée sous le vent est placée rive droite, avant le pont de Valvins). Le patron de la course rappelle que dans ces conditions « musclées », « la première règle, évidente, est de tout faire pour éviter une collision avec un autre bateau ». « Et tant pis si l’on perd des places dans la manœuvre » ajoute-t-il. 

La grosse vingtaine de coureurs acquiescent. Car malgré la météo hostile, dix voiliers sont au départ. Deux habitables (Corsaire, Edel 2), sept quillards de sport (un Starling et six F15) et un dériveur en solitaire (Ilca, ex Laser), barré par Victor Dias, venu de Vaires-sur-Marne. Lui qui se dit encore « inexpérimenté » n’a pas choisi son jour pour se jeter dans le grand bain, encore que l’expression soit quelque peu déplacée, vu le degré d’instabilité de son bateau dans la brise. (En réalité, il ne chavirera pas une seule fois ! Bravo à lui.)

On attendait que le F15 Chocolat fasse enfin son entrée en Seine, mais comme d’habitude son propriétaire Hervé Frot courait les mers. Après la Caraïbe, il croisait cette fois dans l’océan Indien à la recherche, disait-il dans un de ses messages (numérique, pas dans une bouteille… à la mer), de vanille et de thé. Là beaucoup de ses camarades de flotte s’étranglèrent. Heureusement le cap’tain Choc finissait par ajouter « … et de rhum ». Les mêmes ricanèrent.

Un autre Flying Fifteen, arrivé quelques semaines plus tôt tout droit d’Angleterre, restait à quai. Il est vrai que son propriétaire et primo Alexandre Gervet embarquait  à bord du F15 de Christian Hardy, ancien champion du monde de la série, faut-il le rappeler.

Bottée, harnachée et même casquée, en prévision du coup (de vent)

Bien décidé à braver la météo, l’équipage du somptueux Corsaire Morgan, prévoyant, prenait un ris dans la grand-voile, réduisant ainsi la surface de voilure pour l’adapter à la violence d’Eole. Sur l’Edel 2 de David Verillotte, le même objectif conduisait à une autre solution : on conservait la totalité de la grand-voile mais on changeait la voile d’avant : le grand génois était rangé dans la soute, remplacé par un foc de route à la taille limitée. 

Changement de décor et pour tout dire de philosophie à bord du F15 de Laurent Dagommer, où l’on aime la brafougne,  la bagarre, la baston. L’équipage a préparé un beau spi (cette très grande voile en forme de bulle), défiant les éléments sur le thème du « même pas peur ». Evidemment, il est seul dans ce cas.

Ainsi, à bord du K, prêt comme jamais, la nouvelle équipière Samy Baume est parée au combat : bottée, harnachée et casquée. Oui casquée. En souvenir d’un virement de bord intempestif (et douloureux), elle qui porte quasiment un nom d’espar a décidé de se protéger à la manière des coureurs de Sail GP ou des équipiers des AC 75 (22,86m). Pourquoi pas, même si son Fly vole à 5 nœuds et non à 50, comme les engins précités.

10h07. Le comité appelle les bateaux sur la ligne. Ça souffle, peut-être moins fort que prévu. Comme s’ils étaient électrisés, les voiliers cerclent déjà, plus de cinq minutes avant le top et les situations sont parfois suffocantes. Les départs à Valvins ont en effet pour principe d’être donnés là où le plan d’eau est le plus étroit, puisque « rétréci » par les pontons du port qui s’élancent vers le centre du fleuve. Pour les spectateurs les départs sont donc toujours impressionnants. Pour les skippers aussi d’ailleurs.

Le sel de la vie de marin ? S’adapter à la météo

Les F15 sont partis devant et cette manche inaugurale préfigure ce que sera le classement final : les cinq premiers termineront quasiment dans le même ordre au général. Cette régate confirme que le vent n’est pas conforme aux prévisions. Si de grosses claques fouettent effectivement la flotte, le vent de fond est moindre et surtout instable. Il rend folles les girouettes qui se prennent pour des derviches tourneurs et déconcerte les équipages quand ceux-ci viennent à tomber dans un trou… d’air ! A moins que ce ne soit dans une embuscade. Car quelques minutes plus tard, ils sont à nouveau bastonnés par une risée vacharde, laquelle, planquée dans les bois, vient s’abattre d’un coup sur les bateaux arrêtés. La voix porte sur l’eau. Les jurons plus encore… 

David Verillotte, Cyril Baume et Gregory Prunier constatent que leur bateau est globalement sous-toilé et décident de changer de voile d’avant. Le foc est amené, le génois est dérangé de la soute et hissé à nouveau. Manœuvre intéressante mais coûteuse en minutes. A bord du F15 de Laurent Dagommer, l’état d’esprit est inverse. On a beau apprécier la piaule, on ne cherche plus à augmenter la voilure en envoyant le beau spi bleu. « Ce vent est ingérable » explique Laurent.

Rappel général à la gare de Lyon

Dans la deuxième manche,  les cinq premiers sont toujours les mêmes. Le duo Rocco Mennella-Francis Varlet (le primo du bord qui dispute sa seconde régate) s’adjuge la victoire. Il s’en est pourtant fallu de peu que le F15 blanc reste à quai. Notre Italien était en effet arrivé in extremis pour prendre la barre de Fou de Bassan. Encore une affaire de météo, sociale cette fois. Venant de Paris, sa régate avait en fait débuté au petit matin, du côté de la gare de Lyon, où trouver un embarquement n’avait rien d’évident. De nombreux supports étaient déclarés DNS (Do Not Start) par le responsable du comité (de grève). Finalement Rocco réussit à prendre le bon wagon et arriva à l’heure à Valvins. Il sera d’ailleurs d’une ponctualité hallucinante tout au long de la journée. 

La troisième manche est la grande course de la journée puisqu’elle comporte deux tours de circuit. L’espèce de crachin qui tombe depuis le matin cesse et des rayons de soleil éclairent la surface grisâtre de l’eau, qui instantanément  passe au vert. Est-ce le signal d’aller de l’avant ? Alors qu’il vient de disputer deux manches énervantes, l’équipage du K franchit la ligne en tête et la conserve pendant les trois-quarts de la course, avant de céder à la dernière bouée. Il termine 3e, derrière les leaders Mennella-Varlet et Hardy-Gervet.

 

L’écoute ne veut rien entendre

Dans certaines épreuves, la grande course est affectée d’un coefficient supérieur aux autres régates. A l’YCPF il n’en est rien, malheureusement pour le K qui aurait ainsi pu refaire une partie de son retard. Surtout qu’au départ de la manche suivante, son palan d’écoute de grand-voile s’arrache de l’embase en bois. Avarie rédhibitoire, abandon obligatoire. Le K est déclaré DNF (Do Not Finish) et ne prendra pas le départ de la cinquième et dernière manche. Dans cette quatrième, c’est une nouvelle fois le futur tiercé vainqueur qui s’impose : Mennella-Varlet, Hardy-Gervet et le solitaire de Vaires Victor Dias.

La cinquième manche est passionnante. Le vent souffle depuis « le virage de la forêt » vers le pont de Valvins mais, on l’a vu, pas exactement dans l’axe de la Seine. En gros, il est décalé de 30° vers l’ouest. Pour schématiser encore plus,  il « provient » de la Step d’Avon et est orienté vers l’entrée du pont coté Samoreau. Dans ces conditions, la meilleure option est de partir rive gauche, à proximité du ponton visiteur, pour tirer un premier bord favorable (car le plus rapprochant de la bouée). Subsidiairement, c’est aussi naviguer tribord amure et donc être prioritaire sur les bateaux partis de l’autre côté de la ligne, rive droite.

Un aquarium géant où l’on nourrit des F15

Ce petit raisonnement, les quatre bateaux de tête l’ont suivi. Et les badauds, les curieux, les passionnés, les commissaires de course se massent et observent, littéralement sous leurs yeux, une sorte d’aquarium où l’on élèverait des F15. Pour s’assurer la meilleure position, les bateaux évoluent à l’intérieur d’un tout petit périmètre, compris entre le ponton visiteur et le pare-embâcle ! Une aire de jeu longue de 40m et large de 30m, l’équivalent d’un peu plus de deux terrains de tennis…  C’est bien étriqué, presque ridicule pour y mettre quatre Flying Fifteen de plus de 6m venus s’étriper par bonne brise à la recherche de la trajectoire optimale. Et c’est sans grande surprise qu’un mini carambolage mettra fin à la séquence.

L’homme pressé

Le malheur des uns fit le bonheur du président Staeger-Holst et de la primo Fabienne Launay, qui connurent les honneurs de la ligne au départ comme à l’arrivée, Morgan et son équipage (Bernard-Berezoutzky-Barthélémy) s’adjugeant la manche en temps compensé.      

Alors que la remise des prix n’avait pas encore commencé, Rocco Mennella, l’homme pressé, était déjà reparti pour prendre le départ de sa septième manche de la journée (un long bord entre la gare d’Avon et Paris). C’est dommage, il était premier avec son équipier Francis Varlet au général de cette Primovera. 

Prochain rendez-vous au port de Valvins à Avon le 7 mai pour une autre régate dont le nom est déjà tout un programme : Femmes à la barre. 

 

                                 Bruno Clement-Bayer, photos Sophie Marlot et Jean Raveau

Primovera :

1ers : Mennella-Varlet ; 2es : Hardy-Gervet ; 3e Dias ; 4es Staeger-Holst- Launay

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