L’AIR DU TEMPS

Publié le par YCPF

Les 19 et 20 novembre, le Yachting Club du Pays de Fontainebleau organisait la F15 Cup, un grand week-end de courses qui clôturait officiellement la saison sportive. Retour sur ces régates au long cours qui attestent que la Seine n’est pas toujours un long fleuve tranquille et prouvent que les régatiers n’eurent pas froid aux yeux, même quand la bise fut venue.

L’AIR DU TEMPS

Savez-vous où l’on pouvait voir cette année en France le plus grand nombre de Flying Fifteen, ce super quillard de régate conçu par l’architecte britannique Uffa Fox ? En Bretagne, pensez-vous peut-être, du côté de la très anglophile Dinard, ou encore en Méditerranée, au large de Cannes, capitale du cinéma et pendant très longtemps celle des quillards de sport ? Et vous auriez tort. Car le plus grand rassemblement de F15 (15 comme 15 pieds de longueur à la flottaison) avait pour cadre le plan d’eau de l’YCPF, à proximité du port de Valvins ! Ils étaient neuf ces coursiers qui aiment la brise, neuf sur l’eau en tout cas. Car un dixième restait à quai, son nouveau propriétaire étant occupé à terminer la Route du Rhum. Non en Imoca à foils, encore moins en trimaran Ultime, mais en catégorie autocar. Et oui, en voyage organisé plutôt transat aventureuse, le néo capitaine du Chocolat virait les rhumeries, débordait les alambics et (re)faisait la régate au comptoir. Au sortir de choix tactiques cornéliens (en résumé : « On attaque tout de suite ou l’on récupère encore un peu des manches précédentes ? »), il envoyait des photos de fleurs, de chemins, disons creux, ou d’oiseaux mouches (…), manière de dire : « Je termine mon rhum et j’arrive, en pleine forme ». En forme de rond ?

Route du rhume

Bref si certains s’échauffent les sangs aux Antilles, les équipages de cette F15 Cup s’avancent, eux, sur la route du rhume. Froid, vent et pluie sont annoncés ce week end. Qu’importe, l’appel du large est le plus fort, surtout que le cadre de cette manche du samedi est somptueusement mis en scène par un chef éclairagiste céleste possédant le don de faire claquer les couleurs, façon Technicolor. Toutes les teintes sont saturées, les jaunes des feuilles de bouleaux sont tour à tour fluo ou brillants telles des pièces d’or et les verts épuisés des saules virent à l’acid green qui serait, en plus, rétroéclairé. Quant au bleu du ciel, il a quelque chose de liquide, comme si, défi à la physique, c’était le fleuve qui se reflétait dans les cieux et non l’inverse. Dernier détail, si la lumière est chaude à défaut de réchauffer, la brise est plutôt timide bien qu’elle soit fraiche.

L’AIR DU TEMPS
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2 K pour deux

Elle est même si peu intense, cette bise du nord, que l’ensemble de la flotte avance groupé et remonte vers la bouée mouillée dans la forêt (on ne dira jamais assez le privilège qu’ont les membres de l’YCPF de naviguer pour partie dans les bois !). Seul le K 2302 (à ne pas confondre avec le K 293 Falling Pound appartenant au club) est en difficulté, pour ne pas dire en perdition. Comme souvent, il est parti avec 30 minutes de retard et vire la bouée de Valvins quand la flotte repasse déjà à la hauteur du club house.

Option main stream

On dit souvent qu’il est impossible de faire de la tactique quand on navigue sur la Seine, le plan d’eau, trop « étroit » du fait de ses rives rapprochées, n’offrant quasiment aucune alternative à l’option « main stream » (tirer des bords, descendre tout droit et profiter du courant quand c’est possible). On peut néanmoins adopter quelques principes généraux. Quand on est très en retard, il est inutile de suivre la trace des voiliers devant, on ne les rattrapera jamais ; on évite autant que possible le centre du fleuve quand on remonte le courant ; vers l’amont toujours et par vent portant, naviguer près des berges permet parfois de profiter de contre-courants, à condition de bien surveiller la profondeur d’eau et surtout les branchages, ceux des saules pleureurs en particulier, capables de démâter même un «15 pieds volant».

Le K suit ces préceptes, d’abord sans grand espoir puis avec plus de conviction quand le filet d’air dans lequel il progresse se révèle visiblement un poil plus fort que celui poussant la flotte sur le rivage opposé, à l’ombre de la colline forestière du Bois Gauthier. Grignotant un à un ses adversaires, il revient sur les premiers bateaux, à un détail près. Longer la rive de Samoreau, c’est bien, mais quand la bouée est mouillée berge opposée, à proximité de l’ancien club, ce décalage latéral équivaut à parcourir 70m supplémentaires (la largeur de la Seine) dans de mauvaises conditions : courant défavorable maximum, sortie du couloir de vent, concurrents qui croisent tribord amure, donc prioritaires, et on en passe. Bref de quoi replonger au classement.

L’équipage du K est tellement obsédé par la meilleure manière d’aller virer cette bouée qu’il ne voit pas qu’un concurrent lui a ouvert la route. Laurent Dagommer a lui aussi filé à l’anglaise, tanguant et roulant à gauche du plan d’eau. « J’ai joué la gauche car il y avait plus de vent. Nous avons pris la tête mais j’ai eu un moment de panique quand les autres ont commencé à bénéficier de bonnes risées. J’ai donc décidé de traverser immédiatement. Arrivés à la bouée, nous avions encore une cinquantaine de mètres d’avance sur le deuxième. Mais j’ai mis un temps fou à la virer correctement ». Laurent ajoute : « A la réflexion, je me dis que j’aurai pu passer tout de suite, quitte à toucher la marque ; j’avais tellement d’avance que je pouvais réparer mille fois (ndlr : une réparation consiste à faire exécuter un 360° à son bateau). Cela dit ce n’aurait peut-être pas été une attitude très sportive ».

Il s’adjuge cette première manche, devant Arno Solazzo, déjà en embuscade, et l’équipage belge mené par Alain Kinard. Spécialiste du composite (il donne des cours à l’université de Bruxelles dans le domaine des matériaux composites aéronautiques), Alain est lui-même constructeur de bateau. Il possède d’ailleurs le moule n°8 du Flying Fifteen développé par le légendaire Roy Windebank ! Quant au K, il termine 4e. Les coureurs sont contents de cette première manche, malgré la faiblesse du vent. « C’est compliqué dans ces conditions de petit temps, constate Timo Papasokratis, coureur grec à l’accent belge, mais ça rend la course très technique et donc intéressante ».

Approche différente mais intérêt similaire pour Dalila Aït Amir, nouvelle adhérente de l’YCPF et équipière de Jean-François Rochecouste : « Curieusement, je me suis surprise à apprécier, à me prendre au jeu alors que régater n’était pas une attente pour moi. Mais ça s’est présenté, j’ai accepté et c’est vraiment bien ; en plus je découvre un aspect de la voile que je ne connaissais pas et ça me plait ».

Main streamMain stream
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Main stream

Eole souffle et les barreurs gueulent

Le lendemain, on entre dans le vif du sujet, par le nez (qui coule), les doigts (gourds) et les pieds (gelés). Peu importe. Ce qui compte c’est de ne pas avoir froid aux yeux. Car dans cet automne qui n’a plus rien d’indien, le grand architecte de l’univers a rangé ses lumières pour se pencher sur la soufflerie, dont il a poussé le curseur vers ++. Il a aussi choisi d’arroser copieusement la Seine. Un comble.

Le départ de la première manche du dimanche donne le ton. Le vent étant passé au sud, la bouée au vent n’est autre que la fameuse « forestière ». Sur la ligne les voiles claquent, Eole souffle et les barreurs gueulent, notamment des « tribord » impérieux. Comme un essaim furieux, les F15 d’une demi-tonne en charge lacèrent en tous sens la zone extérieure du port. Les coques se croisent, se décroisent, se frôlent, se défient pour arracher une position favorable au moment du top. Francis Varlet, équipier du jour sur le K à bord duquel il dispute sa première régate : «  Ce qui m’impressionne, c’est la vitesse des bateaux et leur proximité sur l’aire de départ. Les situations sont stressantes mais je me régale ».

Il navigue d’habitude en multicoque léger mais, ce dimanche, Karim Yemmi sort pour la première fois en quillard de sport : « Le départ, c’est très nerveux. Dans cette phase, il y a pour moi énormément d’informations à enregistrer ; je comprends aussi qu’il faut anticiper en permanence ». Cyril Baume, qui court sur le K293 avec pour barreur le président Kim Staeger-Holts, est d’accord avec ces propos, à une nuance près: « Aux Etats-Unis, j’avais régaté quelques fois sur de gros bateaux avec des skippers très compétitifs; alors oui il y a beaucoup de tension au départ mais je ne suis pas surpris car c’est conforme au souvenir que j’en avais ».

Depuis son poste de chronométrage, de l’extérieur donc, Sophie Marlot confirme que « ça va vite », que la régate est « spectaculaire » et que « la monotypie (une seule série sur l’eau) ajoute à la beauté ». Sensible au spectacle mais avant tout patron du comité de course, Bernard Brianchon observe, lui, que les premiers moments de la course traduisent l’état d’esprit des concurrents. « On voit tout de suite les quatre ou cinq équipages qui partent avec le couteau entre les dents et les autres, qui naviguent prudemment, soucieux avant tout de ne rien casser. »

Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau
Du mouvement sur l'eau

Du mouvement sur l'eau

La voile c’est coton

A ce jeu, qui demande sang-froid, audace et sens tactique, Arno Solazzo et Claire Mortreuil excellent. Or, et c’est un autre principe de la régate en Seine, gagner le départ signifie souvent gagner la manche. Brillant sur la ligne, l’équipage champion de Seine-et-Marne en quillard gagnera d’ailleurs trois manches et terminera deux fois deuxième ce dimanche. Une domination quasi sans partage, qui en dit long sur la science du départ dont fait preuve Arno. Pourtant, le leader seine-et-marnais estime qu’un départ victorieux est « une régate gagnée… une fois sur deux ». « Il y a d’autres situations importantes » dit-il. « Le louvoyage vers la bouée au vent, le passage des marques ou les manœuvres de spi restent des moments clés ». Et d’ajouter : « J’ai pris le meilleur départ de la manche de samedi et je ne l’ai pas gagnée ».

C’est vrai, les bords de portant sont importants, d’autant plus décisifs que seule une partie de la flotte porte un spinnaker, la plupart des voiliers embarquant un nouvel adhérent, pas forcément rompu aux techniques de la voile et encore moins au maniement du spi s’abstenant d’envoyer la « bulle ». Pas grave. L’essentiel n’est pas seulement de participer mais d’apprendre.

Equipière de David Verillotte, Fabienne Launay pose le pied sur un bateau pour la quatrième fois au moment de prendre son premier départ de régate. « Ce dimanche matin, j’angoisse vraiment car j’ai horreur du froid et de la pluie ». Quelque heures plus tard elle précise : « Mais tout se passe bien, même si je ne connais pas encore tous les termes de marine ; je suis très contente de faire cette course et je suis prête à repartir ». Si Samy Baume a disputé quelques régates sur de gros habitables, elle découvrait lors de ce week-end la voile légère en course avec son skipper Jacques Rivoirard. « J’aime beaucoup car ces F15 procurent plus de sensations qu’un grand voilier et pendant la course on s’active beaucoup plus. J’ignore encore la technique du spi mais je suis sûre que je vais me prendre au jeu de la compétition quand je maitriserai toutes les manœuvres ». Karim : « Cette première régate à bord de ces Flying Fifteen, agiles, maniables, hyper racés, c’est fantastique ; ça pousse à apprendre et à se dépasser ».

Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés
Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés

Fabienne, Karim, Cyril, Samy, Francis, Dalila, Ludovic et Gilles .....nouveaux engagés

Des nouveaux engagés

Dans la course au large, on a l’habitude de dire que les voiliers moins bien classés sont les plus méritants car ils passent davantage de temps en mer. C’est vrai aussi sur la Seine… Si l’on compare les temps effectifs passés en course par les voiliers de la tête et du bas du classement, on constate un différentiel de 1h30 (2h45 contre 4h16) après cinq manches. Un peu comme si l’équipe du bas de tableau livrait sur l’eau l’équivalent d’un match de football de plus que le leader, par temps froid, sous la pluie et les bourrasques. Chapeau (bonnet ?) bas donc aux équipages moins bien classés, ainsi qu’aux nouveaux équipiers de l’YCPF, engagés et déterminés.

Dans le haut du tableau, on l’a vu, Arno Solazzo et Claire Mortreuil ont dominé sans partage ou presque avec trois places de premier et trois places de deuxième. Ils devancent au général Christian Hardy (ancien champion du monde en F15 silver) et son équipier italien Eugenio Piga, Laurent Dagommer-Gilles Gauthier-Karim Yemmi et les Belges du BEL3742. Dans ce quarté gagnant, on voit un open (ex gold) récent, un silver (d’un âge intermédiaire) et deux « vieux » classic dont le vainqueur. Ce qui conforte au passage l’intérêt de courir en monotype et particulièrement en « Fly ». Alain Kinard : « Avec un bateau ancien mais entretenu, on peut très bien figurer en Flying Fifteen et à moindre frais; c’est l’un des intérêts de la classe ».

Un autre avantage, et cette F15 Cup en témoigne, c’est d’offrir des régates passionnantes car disputées. Lors de la dernière course par exemple, les six premiers bateaux arrivent en 3 minutes, Thierry Lansier et Ludovic Gaucherand terminant à 1 seconde du cinquième !

Le président Kim résumera cette homogénéité : « En temps réel, les cinq premiers bateaux de la première manche sont les cinq premiers de la dernière manche et les cinq premiers au classement général ».

Les Bruxellois confirment :  « Le plan d’eau est un peu spécial avec le courant dont nous n’avons pas l’habitude, mais le cadre, la forêt, c’est magnifique ; sur le plan sportif, comme dans toutes les régates, il y avait des concurrents de forces différentes avec des débutants et des équipages d’excellent niveau ; nous sommes très contents d’avoir fait ce déplacement et Alain reviendra l’an prochain ; moi je compte bien courir à la barre de mon propre bateau » précise Timo au moment de la remise des prix. A noter que l’épreuve a été inscrite au calendrier belge de la classe.


 

Arno et Claire au coude à coude avec Christian et Eugenio
Arno et Claire au coude à coude avec Christian et Eugenio
Arno et Claire au coude à coude avec Christian et Eugenio

Arno et Claire au coude à coude avec Christian et Eugenio

Les 4 premiers et le classement
Les 4 premiers et le classement
Les 4 premiers et le classement
Les 4 premiers et le classement
Les 4 premiers et le classement

Les 4 premiers et le classement

C’est coton, mais c’est bon et c’est beau

Impossible de conclure sans évoquer la soirée du samedi. Tirer un bord vers le club house, quand il fait nuit et que les équipages sont rincés, au sens que l’on voudra, fait partie de la voile. Au soir de la première manche, le club offrait donc aux équipages un diner aux petits oignons (on y reviendra). En apéritif, un planteur (ah toujours ce parfum de Route du Rhum…) ouvrait l’appétit, suivi par une tartiflette géante concoctée par la cheffe Danièle Lefèvre. La recette ? Environ 10 heures de préparation, 7 kg de pommes de terre, 3 kg de lard et 2 kg de reblochon sans oublier des dizaines d’oignons. Delicious.

Au cours de la soirée, un équipier par ailleurs photographe se mettait en évidence : Jean Raveau. On le retrouvait le lendemain matin, travaillant dans la brafougne pour ramener un reportage au plus près de l’action. Néanmoins tous les photographes de mer professionnels le disent « ce n’est pas le photographe qui fait la (bonne) photo mais le pilote de la machine », que celle-ci soit une vedette de presse ou un hélicoptère. C’est en effet le pilote qui place son engin pour obtenir le meilleur angle, le meilleur point de vue, le tout au bon moment, celui de l’instant décisif. Ce dimanche de tempête, Jean-Paul Belland était aux manettes, n’hésitant pas à manœuvrer son canot pour entrer au cœur de la mêlée et permettre à son partenaire de mitrailler la flotte, sans (trop) plomber la trajectoire des concurrents. Une bonne partie des images illustrant ces lignes est issue de cette collaboration.


 

Bruno Clement-Bayer

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