Du Rêve à la Lasure
Dimanche studieux sur le parc à bateaux de l’YCPF. Au programme, vérification de carène et calfatage de bordés.
Visiblement les cinq membres du club présents à l’YCPF, en ce premier dimanche d’avril, n’avaient rien perdu de leurs réflexes de marin. A peine arrivés, ils s’étaient rendus sur le ponton plastique et de là, depuis cet observatoire avancé, ils avaient scruté le plan d’eau, la couleur du fleuve (bleu sombre), l’état du ciel (blue sky), la force du courant (encore puissant) et l’orientation du vent (nord-sud). Silencieux, ils paraissaient déjà réfléchir à quelques stratégies : avec ce vent arrière soutenu, on pourrait être en une heure au château de la Rivière. Et même si la b(r)ise est contraire, on n’aurait aucune difficulté pour rentrer au port. Il n’y aurait qu’à se laisser porter par le courant, favorable. L’un d’eux, Thierry peut-être, fini par rompre le silence : « Fait pas chaud les gars hein ». Tous partagèrent son avis de grand frais.
Un Jouët vrai joujou
C’est sans doute cette forme d’appel du large qui imposa l’idée de débuter la journée en s’occupant du Rêve Claire, dont la seconde partie du nom s’écrit bien avec « e ». Cette dénomination n’est donc pas la traduction (ou la conclusion) d’un rêve bien identifié, évident, non il fait référence à, disons, une équipière. Comme si celui qui avait baptisé le bateau intimait à Claire de rêver : « Tiens Claire, rêve donc ! » A moins que ce ne soit une supplique : « Rêve Claire, s’il te plait... » Le mystère reste entier et les amateurs d’énigmes, ils sont nombreux au club, essayeront peut-être un jour de dénouer l’intrigue. Reste que les baroudeurs bravant le matin glacial étaient à mille lieues (mille milles) de ces questions sémantiques.
Si Jean-Pierre, David et les autres s’attelaient au Rêve Claire, c’était bien pour le remorquer jusqu’au pied de la grue, devenu, pour un instant, piédestal. Car en pleine lumière et depuis qu’Éric s’est occupé du cas, le bateau est méconnaissable. D’épave présumée, le Jouët 18 a été transmuté en un pimpant micro, en un mini croiseur bien attirant. Cédons à la facilité et ôtons le tréma du « e » de Jouët pour rendre pleinement compte de ce que ce voilier est redevenu : un joujou magnifique de 18 pieds avec lequel on a hâte de s’amuser.
Patins ventouses
Néanmoins le passage à la grue prenait des allures d’heure de vérité. Qu’allait-on découvrir une fois le bateau soulevé de sa remorque ? Dans quel état serait la coque ? Le jugement tarda car lorsqu’on actionna le palan, c’est l’ensemble bateau-attelage qui menaça de s’élever, les patins fondus de la remorque agissant comme des ventouses géantes sur la coque. Bref on s’y reprit à deux fois pour que la coque finisse par se libérer. Des pâtés de caoutchouc étant restés collés, il fallut les poncer pour expertiser définitivement la carène. Et le verdict ne fut pas trop sévère : aucun trou et quelques très légères déformations sans conséquence. Le voilier reposant sur le caillebotis métallique, sorte de civière surplombant la rivière, la remorque fut amenée à la clinique, le temps d’une intervention, dans le service orthopédie. Démontage des roues, avec une extrême prudence les pneumatiques étant totalement déchirés, auscultation des roulements à billes, graissage – pansage, l’intervention s’achevait par le changement des patins, qui ne fonderont plus, du moins dans les 15 ans à venir. L’opération avait duré quelques heures mais la remorque avait acquis une seconde vie ou presque. Le Rêve pouvait être remis en selle sur sa remorque et rentrer au paddock.
Pinceau au bout du rouleau
Changement de décor l’après-midi. L’atelier en construction réclamait son dû, autrement dit sa Lasure. Gwenola avait entamé l’opération de protection des bois le week end précédent. Cette fois ce sont Jean-Paul et Jacques qui s’y collent. Littéralement. Le pinceau cylindrique est au bout du rouleau et dès qu’on tente de passer une couche, le dit cylindre tombe au sol. Il faut alors le nettoyer, le réinstaller et tenter de finir d’étaler le produit. Une fois ça va, dix fois c’est pénible, trente fois c’est collant. Pour les mains.
Aérien comme toujours, Thierry est grimpé dans la charpente et passe le pinceau à la volée, sans état d’âme. Notre chef de chantier Jean-Pierre vient vérifier l’avancement des travaux et encourage les équipiers. Notre président est plus interrogatif : « C’est normal ces coulées ? » « Non répond Jean-Paul, mais il est difficile de faire autrement car le rouleau ne tient pas ; le temps de le ramasser, de le nettoyer et les bavures ont séchées ». Mouais.
Une demi-heure plus tard, Eric toujours : « Et les traces de Lasure sur la gouttière, c’est voulu ? » « Ça s’enlève à l’eau » dit encore Jean-Paul. Eric : « A condition d’aller vite ». Joignant le geste à la parole, il récupère un scotch brite et s’attaque au tube. Le dernier mot, plutôt le dernier geste sera pour Jacques qui fait montre d’une volonté peu commune le soir venu. Il peaufine quand les autres baissent les bras. Magnifique. A suivre (la seconde couche).