REGATE REGAL
Le 21 avril 2024 lançait véritablement la saison sportive de l’YCPF. Huit bateaux s’affrontaient, qui s’exposaient aussi à des conditions de navigation musclées, aussi bien « en l’air », avec un vent soutenu et des claques parfois féroces, qu’en « dessous ». On veut parler du courant, puissant, à la limite du praticable.
Partira ou partira pas ? La force du courant donnait des sueurs froides à Danièle Lefevre, la nouvelle présidente du Yachting Club du Pays de Fontainebleau. Peut-on naviguer sereinement quand cette force plus ou moins invisible qu’est le courant entraine les bateaux, souvent contre leur gré, vers des zones peu propices au sport et encore moins à la rêverie : piles de pont, branches de saules pleureurs annonciateurs de chagrin (surtout pour les mâts…), pare-embacle à moitié défoncé par l’accumulation de déchets en tout genre (dont un ponton…) encombrant la Seine. Par chance, si le courant descendait évidemment du Sud, le vent soufflait du Nord. Il y aurait donc du clapot mais on pourrait naviguer.
Du clapot au clap (de début), il n’y a qu’un petit pas en arrière, juste pour pouvoir sauter sur la rive. Et là, constater que le top départ serait donné par Luis Goncalves, président du comité de course, assisté par son coéquipier Francis Varlet, responsable de la sécurité sur l’eau. Le duo officiait pour la première fois, après avoir bénéficié, avec sept autres membres du club, de différentes formations pour assurer ces postes stratégiques. « Au matin de l’épreuve, j’avais le trac dira Luis, mais avec Francis, mon binôme, nous nous sommes détendus au fur et à mesure de la journée ». Sans doute parce que tout se passait bien.
Sur l’eau on comptait huit bateaux, soit quatre quillard de régate F15, trois habitables, le Jouêt 18 du club, un Edel 2 et un Corsaire venu de Montereau, sans oublier un X4, dériveur en solitaire comparable au Laser, gréé en cat boat (portant une unique grand-voile).
Compte tenu des conditions météos, courir en X4 relevait de l’exploit, de la mission impossible, du suicide dira même un spectateur particulièrement angoissé. N’exagérons rien. Marin solo du jour, Thierry Lansier est aussi un cavalier émérite et un champion d’escalade. C’est dire qu’il en a vu d’autres et qu’il n’a pas froid aux yeux. Pourtant, là…
Assommé par la bôme, il perd connaissance
Le froid, il le connut intimement lorsque sa combinaison de plongée se révéla bien trop fine, surtout après deux chavirages dans une eau à 7°. Ses yeux, il les perdit : une nouvelle paire de lunettes, siglés YCPF, git au fond de la Seine.
Et s’il conserva sa tête, il perdit connaissance après avoir été furieusement frappé par la bôme, en raison d’un empannage intempestif provoqué par la manœuvre hardie d’un F15 venu aux nouvelles… Dieu merci, cette inconscience ne durera que quelques fractions de seconde : c’est l’eau glaciale qui fit reprendre à Thierry ses esprits. Et c’est en jurant qu’il se hissait dans son engin de mer (oui c’est ça, de « mer », faisons court).
Après trois knockdown, acculé dans les cordes et les écoutes, il ne jetait toujours pas l’éponge (de toutes façons il y avait trop d’eau dans son cockpit…). Il remontait sur le ring, la Seine, là où il avait failli être liquidé quelques minutes plus tôt. Et, façon blind test nautique, il rentra au port, plus au feeling qu’à vue, en avant, calme et droit. Thierry ne termina pas la course, loin de là, mais il aurait assurément mérité le Prix de la bravoure.
Le prix de la vitesse
Le Prix de la vitesse, trois F15 se le disputaient. Respectivement menés par Solazzo-Mortreuil, Dagommer-Lefébure et Hardy-Piot, les quillards de sport s’en donnaient à cœur joie dans ces conditions musclées.
Une grosse bagarre, vraiment, avec enchainement de virements de bord dans un bruit de tissus fracassés, ponctué par les cris des équipiers, dans lesquels s’immisçaient parfois les échanges métalliques des radios vhf. Partant dans le sens du courant pour virer une bouée placée à 300m du pont de Valvins, la flotte doit impérativement soigner son départ et maitriser son chrono, le courant pouvant entrainer un voilier, même bout au vent (vent de face), à « voler » le départ. Vainqueur du jour, Arno Solazzo connut ce désagrément dans la cinquième manche, où il coupa la ligne prématurément d’une demi-longueur de bateau. Ça ne l’empêcha pas de gagner la manche, après avoir réparé sa faute, évidemment.
A 8 nœuds en F15 !
Ces trois équipages d’attaque (dont deux mixtes !) remportèrent chacun au moins une manche. Les deux premiers s’adjugeant même deux courses. Le plus régulier était l’équipage Solazzo-Mortreuil, avec des places de 1-2-2-2-1. Deuxième au général (3-1-1-3-2), Laurent Dagommer résumait ainsi la situation : « C’était une belle journée ventée, avec 15 nœuds de vent (un peu moins de 30 km/h) et 20-25 nœuds (environ 35-45 km/h) dans les bourrasques. Sous un nuage, pendant 30 secondes environ, la vitesse du bateau est montée facile à 7-8 nœuds ! J’ai rarement atteint cette cadence en F15. »
La gestion du courant était-elle complexe ? « Oui et non. Il fallait bien négocier le départ. Ensuite il y avait peu d’écart entre les bateaux et il y eut de fameux bords de vent arrière avec trois bateaux sous spis sur une même ligne. Mais c’est vrai que le courant pouvait avoir une forte incidence. Au vent arrière, nous étions bord à bord avec un jeune équipage (Darut-Djemaa), qui découvrait le F15. Sous spi au centre du fleuve (là où le courant est le plus fort) et eux uniquement sous grand-voile et foc, mais sur une trajectoire proche de la rive, et bien ils faisaient au moins jeu égal avec nous. Autrement dit, fallait-il chercher à porter systématiquement le spi ou bien éviter méthodiquement le courant, sans envoyer la ‘’bulle’’ ? La question peut se poser ».
A noter que sous l’effet du courant, la bouée de départ dériva tout au long de journée d’environ une centaine de mètres. Rien de grave, ce fut le comité qui s’adapta à la marque volage, pas les coureurs.
Au classement, Le Rêve-Claire parvint à s’intercaler entre les quatre Flying Fifteen, le quatrième F15 prenant une 5e place encourageante. Deux habitables fermaient la marche. L’Edel 2 (Vérillotte-Lanciaux) était victime d’une avarie de barre d’écoute. Quant au Corsaire (Lenglet-Marin), à la robe écarlate magnifique, il payait un certain nombre d’incompréhensions lors d’échanges à la VHF.
Bruno Clement-Bayer
Photos Iti
Prochaine régate :
« Femmes à la barre », le 19 mai, port de Valvins.