CRIMES EN SÉRIE A L’YCPF
La présidente Danièle Lefevre avait demandé : « Tu ne veux pas écrire un texte sur la formation Premiers secours citoyen » ? « Un article vu de l’intérieur » ajoutait-elle. « Je participe à la prochaine session de l’YCPF et je voudrais savoir à quoi m’attendre ». « A quoi je m’expose » aurait été plus juste… La preuve par immersion au sein d’un club house transformé l’espace d’un samedi en poste de secours avancé.
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Lointain descendant du brevet de secourisme, cet enseignement n’est effectivement pas de tout repos. C’est même l’inverse. Il apprend à bien réagir en face d’une victime d’un accident grave. Pour l’empêcher de sombrer, car c’est bien de cela dont il est question, dans le repos éternel.
La présidente voulait du vécu. Pour cette raison, un tel article n’aurait pas dû voir le jour. Peut-on frapper sur un clavier quand on prend un clou de 7 centimètres dans le bras ?
Et comment faire quand, pour « enfoncer ce clou », le maitre sauveteur, gendarme d’élite, vous plante un couteau, juste au-dessus du poignet ? C’est ce qu’a expérimenté le chroniqueur de ce samedi sanglant.
« Je n’ai pas de pharmacie à bord, juste un mini bar »
Après avoir retrouvé son sang-froid, on tente, malgré tout, de prendre des notes utiles pour rédiger un futur papier. C’est compter sans Jean Raveau, qui veut absolument remplir de rhum la plaie pour la désinfecter, au motif qu’à son bord il n’a « peut-être pas de trousse à pharmacie mais un mini bar, ça oui ! ». Il prend alors une bouteille achetée en Martinique, saisi le bouchon… et accroche le bras blessé du rédacteur lequel esquive mais ne parvient pas à éviter Gérald Bernard, autre stagiaire du jour. Le propriétaire du Corsaire vert tient à la main un Laguiole de collection qui comporte un tire-bouchon, ainsi qu’une lame effilée. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut l’artère fémorale droite du chroniqueur que l’arme sectionna.
A nouveau couché dans une flaque de sang, surplombé par l’instructeur de l’école des officiers de la gendarmerie nationale, on entend parler de soi en ces termes : « Là ça pisse trop le sang, je vais lui poser un garrot sur la cuisse, y a pas d’autre solution ». Un garrot, oui un garrot doté d’un tourniquet. « Un garrot israélien précise le major, c’est le meilleur ». Ah non pas le garrot israélien. « Tu n’as pas le choix mon petit pote. Sinon dans deux minutes, t’es mort ». Trois minutes plus tard et la cuisse totalement écrasée, on se dit que ce n’est pas rigolo non plus quand le flux sanguin a cessé d’irriguer la jambe.
Au déjeuner, attention à la fausse route
Dieu merci l’heure du déjeuner sonne. Le repas est rapidement avalé, pas trop vite cependant. Avaler de travers, c’est risquer une fausse route, préalable à l’étouffement. Horrible. Mais n’anticipons pas. Pour l’instant, c’est le malaise avec perte de connaissance qui est au programme.
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La victime est incarnée par Véronique Lansier, urgentiste de métier. Véronique s’allonge sur le sol, pendant que l’ancien directeur d’enquête évoque le contexte. Une perte de connaissance peut avoir de multiples causes, un traumatisme, une chute par exemple, ou un malaise cardiaque, un avc, etc.
Même le GIGN connait un moment de flottement
Puis, penché sur la patiente, il détaille le processus de la prise en charge. Et prononce les paroles rituelles. « Madame, vous m’entendez ? » Pas de réponse de Véronique. « Madame, s’il vous plait, répondez-moi… » Rien. « Comment vous appelez-vous ? » Rien de rien. « Madame serrez moi la main ! » Mais elle ne peut pas Véro, elle suce son pouce ! Véronique s’est endormie. Incroyable !
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Murmures dans l’assistance. Elle dort. Même le gendarme, officier de police judiciaire au sein d’équipes du GIGN, connait un moment de flottement. « Dans le cas d’un malaise avec perte de connaissance sans trauma, on met la victime en position latérale de sécurité ». Et hop, corps désarticulé, Véro passe en pls grâce aux mains expertes de l’instructeur. Dans l’assemblée règne une gêne certaine. Même le chien-loup des Lansier est mal à l’aise. Voyant Véronique par terre, il s’aventure près du gendarme et donne des coups de pattes à sa maîtresse, l’air de dire : as-tu fini de te donner en spectacle ? Réveille toi ! Et Thierry, le mari de Véronique, comment vit-il le moment ? Et bien Thierry il fait un malaise vagal. Comme d’habitude. Ce n’est plus un poste avancé, c’est un hôpital de campagne.
Pour détendre l’atmosphère, un petit malin pose une poupée (en fait un mannequin de bébé en arrêt cardiaque) sur le bras en extension de Véro toujours endormie.
A ce moment on entend : « Heu heu… please… » C’est le capitaine gallois d’un fyfty, démâté et amarré dans le port, qui ne se souvient plus du code d’accès au ponton visiteur. Polyglotte, François Sailly lui répond : « Eight… five… nine… mais le four final ne sera jamais prononcé. François vient d’avaler les deux noix de pécan qu'il mâchouille par un chemin peu orthodoxe : celui de la trachée. De toute façon le navigateur avait filé à l’anglaise. Sans doute effrayé par la vision du docteur Lansier allongée au sol, dormant en suçant son pouce avec un bébé en plastique dans les bras, habillé l’une et l’autre du pareil au même : tricot blanc à rayures rouges. Un chien gardait la femme et le GIGN conservait son calme. La classe perdait ses repères. Un silence à couper au couteau régnait dans la salle. Enfin presque.
« Ce bruit, c’est le râle de l’agonie »
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Par moment on entendait un son, assez ridicule il faut le dire : « Haarg… haaarcccg, haaiiirccqqqqq ». « Ecoutez » dit le major. « C’est François. On pense qu’il respire mais non. Ce gasp, c’est le râle provoqué par l’agonie. En fait votre collègue est en train de mourir. Etouffé. Tout simplement ». A cet instant on vit notre François, déjà vacillant, hocher la tête. Hocher n’est pas le mot. Un semblant de frisson glissa sur son visage. Il levait des yeux au ciel qui imploraient : « Mais faites quelque chose… je respire plus, moi ». Le gendarme : « Il faut agir vite ».
Les yeux : « Pas trop tôt… ».
« D’abord on le penche en avant et on lui met des coups dans le dos, cinq ». Et bum ! Francois tressaille sous la mandale du gendarme, ancien membre de la section de recherche des criminels de guerre en ex-Yougoslavie. Bum et bum. « Voyez, je frappe avec la paume de la main. C’est plus puissant ».
« Tu m’étonnes » suggèrent les yeux vitreux de François. Et bum. Dans un état second, notre ami jette un dernier regard à l’assemblée. Son expression désespérée signifie : « Non seulement j’étouffe mais en plus on me passe à tabac... impensable ». Et bum !
Quand les claques n’ont pas d’effet
« Les claques, ça ne fonctionne pas » constate le militaire. « Dans ce cas, il faut utiliser la manœuvre de Heimlich (« secret » en allemand...) ». La technique consiste à prendre la victime par derrière, à la ceinturer, puis à réunir les mains pour former un « gros poing ». Alors on peut appuyer sur l’estomac pour remonter sous le diaphragme. « Extrêmement brutalement » précise le major en joignant le geste à la parole. Burrrkgl… François vient d’expulser ses noix de pécan. Exactement au même moment, on entendit : « humm heu heu… sorry… do you know where is the Aldi, yes the
super market ? » Voir un militaire ceinturer un compatriote martyrisé pour lui faire cracher ses « Valda Pastilles » (on dit comme ça outre-Manche) avec l’approbation d’une assemblée admirative, « it’s crazy ». Le skipper avait disparu sans attendre la réponse.
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Pour que chacun se remette de ses émotions, l’instructeur décida de passer à l’atelier PLS, en extérieur. Caché derrière la haie de la capitainerie, le Gallois épie, incrédule, ces grands enfants se rouler dans la pelouse sans rigoler, surveillés par un costaud qui donne des conseils tonitruants. Pour mieux voir, il s’avance de quelques pas jusqu’à entrer dans la house. Il y voit une femme, bras gauche dans le dos, qui appuie avec l’index et le majeur de la main droite sur le sternum d’un bébé, se demandant à haute voix de combien il faut enfoncer les dits doigts dans la poitrine de l’enfant. « N’est-ce pas trois centimètres ? » Le Britannique paniqua : is it a cult or what ? ( je suis tombé sur une secte ou quoi ?) Et il prit la fuite, comme toujours. En fait Isabelle Piot, qui maitrise toutes ces techniques de secourisme, révisait le massage cardiaque du nourrisson.
« Si je comprends bien… »
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Bernard Brianchon aussi révisait le massage, d’un adulte. Il comptait « un et deux et trois… L’instructeur : « Appuie avec ton corps, ne fait pas de mouvements de bras. Sinon tu t’épuises très vite. Or tu n’as pas le droit d’être épuisé ». Bernard : « …quatorze, quinze, seize… » Olivier Sarrazin, qui observe la scène, s’adresse au gendarme : « Si je comprends bien, on ne fléchit pas les coudes dans le massage cardiaque ? » Ce jour-là, Olivier débutait toutes ses phrases par « si je comprends bien ». Bernard : « … vingt-sept, vingt-huit, vingt-neuf... » Sophie Marlot ne disait mot. C’est la bonne élève du groupe. Elle observe tout. Elle note tout. Elle écrit tout dans son cahier. A 17h32, elle tira un trait horizontal sous les dernières notes, intitulées Défibrillateur et plia le coin supérieur droit de la page en cours, en guise de marque-page. Le cours venait de s’achever et elle était la première à féliciter notre instructeur Eric Didé. Bien sûr elle trouva les mots justes.
Eric est un prof extraordinaire, dont le savoir encyclopédique est complété par une expérience de terrain hors norme. Ce personnage de roman fut alors remercié par les dix autres acteurs de cette journée passionnante. L'un d'entre eux se demandait si la réalité n'avait pas dépassé pas la fiction...
Bruno Clement-Bayer