LE SOUFFLE DE LA RÉGATE

À l’YCPF, cet ultime dimanche de mars fut un jour de fête. Huit bateaux se présentaient au départ de la première régate de la saison. Et les cinq manches disputées furent haletantes.

Il y a des jours, comme ça, où tout roule, ou plutôt tout baigne. Des jours où, selon l’expression en vogue, toutes les planètes sont alignées. Vent, soleil et température à 20°. Oui si les planètes étaient alignées, la nôtre, la bleue, offrait une météo quasi estivale pour cette première régate de la saison. « Tant mieux » commentait Sophie Marlot, la présidente du comité de course, avant d’ajouter : « Même si je ne suis pas certaine qu’il faille vraiment s’en féliciter ». Elle pensait aux + 9° par rapport aux normales saisonnières mesurées sur le plan d’eau d’Avon, une augmentation à la fois énorme et inquiétante et sans doute aux + 30° (oui plus trente degrés !) par rapport à la normale constatés en… Antarctique. Sophie concluait : « Ne boudons pas notre plaisir et profitons malgré tout de cette belle journée ». A bord de leurs huit bateaux, les seize coureurs l’entendirent. Et s’en donnèrent à cœur joie.
 

En piste, deux dériveurs (un Snipe et un Vaurien) et six quillards F15, des petits bolides de près d’une demi tonne en charge, qui « envoient », et pas seulement leurs spis, dès que la brise souffle un peu. Or en ce jour ensoleillé, le vent était là, orienté nord-sud, quasiment dans l’axe de la Seine, et opposé au courant : la configuration idéale. Le parcours « banane » (un aller-retour matérialisé par deux bouées mouillées près de la rive droite et distante de 400 m environ, l’une au lieudit « rue du bac », l’autre devant la plage de Samoreau, véritable tribune improvisée) mesurait donc 800 m. Ça, c’est la distance théorique. Car à la voile la ligne droite doit être brisée. C’est l’art de tirer des bords, qui rallonge le parcours mais fait arriver plus vite…

Veines de vent pour les uns et déveine pour d’autres

Un premier départ est donné en fin de matinée et déjà se dessine le scénario du jour. En tête les F15 qui possèdent un spi et puis… le reste de la flotte. Les voiliers à spis décollent en effet dès l’envoi de la « bulle » et, leurs vitesses étant comparables, restent relativement groupés. Les autres, sous-toilés, progressent moins vite et accusent leur retard. Car à ce déficit de vitesse s’ajoutent des effets de site : au gré du parcours et surtout si le vent n’est pas constant, les équipages traversent des zones bénéficiant de veines de vent « porteuses » et d’autres, peu ou pas ventées. Cette succession de stop and go profitent aux premiers, qui connaissent plus de go que de stop. A l’arrière c’est l’inverse. La flotte a l’impression d’être victime de « passages à niveau » successifs, plus fréquents et plus durables. En réalité elle va moins vite que les leaders, tout simplement. Et l’écart, inéluctable, grandit.

A ce jeu, Arno Solazzo et Claire Mortreuil, Christian Hardy et Stéphane Lefébure ou encore Bleuenn Jouanno et Elettra Masson firent des merveilles. Bleuenn, 17 ans et gagnante 2021 du trophée de l’YCPF, coachait Elettra, 15 ans. Elles formaient l’unique équipage féminin de la course.

En régate, le premier arrivé n’est pas forcément le vainqueur

A noter aussi que si c’est en zigzaguant qu’on avance bien, dans les courses à la voile ce n’est pas forcément le premier arrivé qui l’emporte. L’idée est de faire courir ensemble des voiliers différents en « égalisant » artificiellement leurs performances intrinsèques, de manière à ce que le plus grand ou le plus puissant ne gagne pas systématiquement. Pour chaque bateau, cette « égalisation des chances » passe par l’attribution d’un handicap. Ce handicap, combiné au temps mis par chaque engagé pour boucler le parcours donne un temps compensé. Et c’est ce temps compensé (ou corrigé) qui est pris en compte pour classer les voiliers en un palmarès unique. Ainsi le Snipe, barré par Elouan Jouanno avec Bernard Brianchon, est un dériveur évidemment moins rapide qu’un « gros » F15. Ça n’a pas empêché le capitaine de flotte du l’YCPF et son jeune partenaire de prendre la troisième place devant quatre F15.

Une milliseconde d’effroi et une fraction de seconde de froid

Au terme des cinq manches, Arno Solazzo l’emportait sur son F15, malgré un incident peu banal. Remontant au vent, le skipper était au rappel quand une sangle (dans laquelle les coureurs passent leurs pieds pour « sortir » du bateau et contre-balancer la gite du bateau) céda. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut le barreur qui tomba (à l’eau). Après une milliseconde d’effroi et une fraction de seconde de froid (ça a beau être l’été en mars, le fluide n’est pas glacial mais presque), Arno remonta sur le voilier et gagna même la manche. Christian Hardy, ancien champion du monde de F15, associé à Stéphane Lefébure, deux gros bras du club, contestèrent jusqu’au bout la suprématie d’Arno. Le Vaurien était armé par un équipage de VIP, le président de l’YCPF Kim Staeger-Holst naviguant avec son ministre du trésor Thierry Lansier. En F15, David Verillotte menait sa barque d’une main sûre, son coéquipier Hervé Frot, au bras long, jouant les tangons de luxe sur les bords de portant. Jean-François Rochecouste et Jacques Rivoirard auraient mérité de recevoir le prix du fair play. Touchant la bouée en empannant, ils réparèrent leur faute dans les règles, quand d’autres touchèrent avec moins de scrupules.

Gymnastique de l’esprit et souplesse du corps

Un mot sur le K, F15 qui faisait sa rentrée dimanche après un grand carénage. Les phases de départ ne furent pas son fort. D’ailleurs il ne disputa même pas la première manche. Lors du troisième départ, son équipage était à terre à la recherche d’eau minérale. Que dire enfin de cette autre manche où le K voguait, bienheureux, vers la bouée sous le vent quand les autres, en aval, doublaient déjà la marque du départ. Qu’importe, son équipage était heureux d’être sur l’eau. Heureux de prendre part à la course. La régate est une espèce de jeu de société géant, un jeu de stratégie qui, si l’on ose dire, donne du sens au fait de tourner en rond. Et un sport qui combine gymnastique de l’esprit et souplesse du corps ne peut être que passionnant. L’équipière du K, Pauline Clement-Bayer, était d’ailleurs enthousiaste : « La prochaine fois, nous serons mieux préparés ».

En fin de journée était organisée la remise des pots. Gwenola Pinvidic, la vice-présidente, avait préféré des pots de fleurs aux coupes. Et pas des pots de lauriers. Des vraies fleurs, pensées, renoncules, géraniums, etc. C’était original et les coureurs apprécièrent. Dans ces conditions le buffet qui suivait ne pouvait être que campagnard. Lui aussi était beau et chaleureux. Décidemment, ce dernier dimanche de mars…

BC